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IX

Panthée.


Xénophon a peint la belle Panthée au moral ; il a dit comment elle dédaigna Araspe, résista aux consolations de Cyrus, et voulut partager le tombeau d’Abradate ; mais ni sa chevelure, ni ses sourcils, ni son regard, ni sa bouche, n’ont été décrits par Xénophon, bien qu’il fût habile à parler sur ce sujet ; or voici qu’un homme, incapable d’écrire, très capable de peindre, n’ayant jamais rencontré Panthée, mais familier avec Xénophon, représente Panthée telle qu’il l’a vue en imagination, d’après ses vertus. Laissons les murs et les maisons brûler ; laissons les Perses emmener les belles Lydiennes et ravir tout ce qui peut être pris. Ne cherchons point Crésus et son bûcher qui ne sont point dans Xénophon lui-même ; aussi le peintre ne connaît point ce détail ou le néglige par respect pour Cyrus ; considérons le drame que la peinture veut nous montrer, Panthée mourante sur le cadavre d’Abradate. Leur amour était mutuel ; la jeune femme avait voulu que ses ornements servissent à embellir les armes de son mari ; Abradate combattait pour Cyrus contre Crésus, monté sur un char à quatre timons et huit chevaux ; c’était encore un jeune homme, à l’âge du premier duvet, à ce moment de la vie, où les arbres mêmes, arrachés au sol, inspirent de la compassion aux poètes. Les blessures d’Abradate, mon enfant, sont bien celles que fait la machæra dans les batailles ; les chairs sont comme hachées. Un flot de sang d’une pureté parfaite rougit les armes d’Abradate, Abradate lui-même, et s’est répandu même sur l’aigrette qui s’élève au-dessus d’un casque doré et dont l’éclat empourpré ajoute au rayonnement de l’or. C’est sans doute un beau linceul que ses armes, pour qui ne les a point déshonorées ni perdues dans le combat. Cyrus apporte à ce vaillant guerrier de nombreuses offrandes ravies à l’Assyrie ou à la Lydie, entre autres un char rempli d’un sable d’or qui a été trouvé dans les trésors inutiles du roi Crésus. Mais Panthée ne croit pas le tombeau assez riche en offrandes funèbres, si elle ne s’offre elle-même. Elle s’est déjà plongé un cimeterre dans la poitrine, et cela avec tant de force qu’elle n’a pas même poussé un gémissement. Elle s’affaisse donc : sa bouche conserve sa régularité parfaite, et même son éclat, qui au moment où elle se tait pour jamais brille encore sur ses lèvres. Elle n’a point encore retiré le cimeterre de la blessure, elle l’y enfonce davantage, le tenant par la garde ; cette garde ressemble à une tige d’or ayant deux branches garnies d’émeraudes, mais les doigts qui la tiennent sont plus agréables