Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/410

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à voir. D’ailleurs Panthée n’a rien perdu de sa beauté par la souffrance ; pour dire mieux, elle ne paraît pas souffrir, mais plutôt quitter la vie avec joie, en femme qui se congédie elle-même. Elle ne se retire point comme la femme de Protésilas, après les cérémonies bachiques, encore couronnée de lierre, ni comme celle de Capanée, s’élançant de l’autel au tombeau ; elle conserve et emporte avec elle cette beauté sans apprêts qu’admirait Abradate, laissant flotter sur ses épaules et sa nuque une épaisse chevelure noire, et montrant la blancheur d’un cou embelli plutôt que déparé par la trace délicate des ongles. L’approche de la mort n’enlève point à ses joues l’éclat qu’elles tiennent de la beauté et de la pudeur. Les narines légèrement relevées dessinent comme une base au nez qui à son sommet déploie, semblables à deux rejetons en forme de croissant, des sourcils noirs sous un front blanc. Quant aux yeux, mon enfant, ne les admirons point pour être grands ou noirs ; considérons le sentiment profond qui se peint en eux, et par Jupiter, toutes les qualités de l’âme qu’ils attirent pour ainsi dire du fond à la surface ; la pitié attendrit leur regard sans en voiler l’éclat ; ils sont hardis, mais d’une hardiesse où il entre plus de raison que de témérité ; ils attendent la mort, mais ne sont point encore fermés. Le désir, compagnon de l’amour, a si bien mouillé ses yeux qu’il s’en échappe visiblement comme goutte à goutte. Voici d’ailleurs Eros lui-même, témoin naturel d’une pareille scène, voici la Lydie qui recueille le sang de Panthée, et cela, comme tu vois, dans le pli doré de sa robe.



Commentaire.


Il est assez difficile après avoir lu cette description de se représenter exactement l’attitude du groupe principal, c’est-à-dire de Panthée et d’Abradate. Philostrate nous montre la cuirasse teinte de sang, le casque au panache violet, le glaive à la garde enrichie d’émeraudes ; il nous décrit les doigts et le visage de Panthée, mais il oublie de nous dire comment l’artiste avait posé ces deux personnages. Pour nous éclairer sur ce point, nous sommes obligé de recourir à Xénophon qui a raconté toute cette histoire d’Abradate et de son héroïque épouse : « Et maintenant, dit un serviteur à Cyrus, on raconte que sa femme, après avoir enlevé son corps et l’avoir mis sur le chariot dont elle se sert ordinairement, l’a transporté sur les bords du Pactole. Là, pendant que ses eunuques et ses serviteurs creusent sous une éminence un tombeau pour le mort, on dit que sa femme assise à terre soutient sur ses genoux la tête de son mari qu’elle a revêtu de ses plus beaux ornements[1]. » Plus loin il est dit : « Panthée au même instant tire

  1. Xénoph., Cyr., VII, 3. Traduct. Talbot.