Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/412

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voulu simplement nous avertir qu'en pareil cas les artistes ont l'habitude d'introduire Eros dans leurs compositions. Le texte nous paraît, trop précis pour douter de la présence d'Eros. Eros, dans les tableaux de Pompéi, est avec Aphrodite auprès d'Adonis blessé ; tantôt il soutient la main du jeune chasseur ; tantôt il tient un flambeau renversé ; ici, il essuie ses larmes ; là; il porte un vase à parfums ; ailleurs, il s'occupe à quelque action indifférente, par exemple à saisir un cygne dans un bassin (1). Dans la gravure qui accom- pagne le texte de Blaise de Vigenère la main d'Abradate repose sur le bras d'Eros qui en approche ses lèvres comme pour l’embrasser. Cette attitude, sinon le baiser, paraît conforme aux habitudes de l'art antique.

Philostrate décrit le geste de la Lydie ; mais c’est précisément ce geste qui nous gène pour assigner une place précise à ce personnage dansla composition. Gaspar Isac, le graveur de Blaise de Vigenère, voulant à la fois rester fidèle au texte de Xénophon et à celui de Philostrate, a imaginé une singulière dispo- sition : Panthée est assise plus haut qu'Abradate dont elle soutient le corps à demi penché sur ses genoux ; auprès d'elle la Lydie est debout tenant avec les deux mains une espèce de tablier, dans lequel jaillit, en décrivant une courbe, le sang de Panthée. Peut-être ne faut-il pas prendre à la lettre l'expression de Philostrate. La Lydie, comme souvent les images des provin- ces et des villes, était sans doute à demi couchée sur le sol, plus bas que Panthée et Abradate ; son riche chiton, brodé sans doute ou constellé à la mode orientale, remontait par dessus la ceinture, de manière à former ces plis que les anciens nommaient le colpos (x61x0<) ; le sang qui s’échappait de la blessure de Panthée tombait ou paraissait devoir tomber sur le chiton;de la Lydie. Peut-être aussi éloignait-elle de son corps le pli supérieur du chiton, comme pour recueillir le sang précieux de l'héroïne : cette attitude en elle- même n’a rien qui paraisse opposé aux conditions et à l'esprit delà peinture ; elle a paru toutefois suspecte, parce qu'elle semble être la conséquence d’une idée chère à Philostrate ; dans la description du tableau qui représentait Ménœcée, il dit en effet, parlant de ce héros : «Or debout près de l'antre du dragon, il relève l'épée dont ils’est déjà percé le flanc. Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui s'écoule de sa blessure. » Mais ce rapprochement n'autorise-t-il pas une autre conjecture, c’est que le sen- timent qui nous porte à recueillir le sang des personnages illustres ou d'êtres aimés de nous était devenu à l’époque de Philostrate, un lieu commun, dont les peintres, comme les écrivains, essayaient de tirer le meilleur parti?

Welcker remarque avec raison que les armes d'Abradate ne sont pas comme le voulait Heyne, éparses dans la plaine ; ce sont les armes mêmes qui servent pour ainsi dire de linceul glorieux au guerrier mort. De même, selon Welcker, on ne devait pas apercevoir dans le lointain une ville en feu, des femmes emmenées en captivité. Il est certain que le tour employé par Phi-

(1) Helbig, Wandg., 831 et suiv.