Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/415

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ruisselait de sang. J'entendis alors la voix lamentable de la fille de Priam, de Cassandre que la perfide Clytemnestre tuait auprès de moi ; pour moi, je sou- levais mes mains; je les laissai retomber contre terre, mourant avec le glaive dans la poitrine ; l'infâme s’éloigna, elle n'eut même pas assez de pilié pour me fermer les yeux et la bouche au moment où j'allais chez Hadès. » Les tragiques, Eschyle le premier, ajoutèrent ou adoptèrent une tradition qui ajoutait une circonstance étrange à cette scène sanglante. Ils racontaient que Clytemnestre, avant de frapper son mari, l'avait enveloppé d’un filet qui le livrait sans défense à ses coups. Une femme, même armée d'une hache, n'au- rait pu, sans la ruse, massacrer le vainqueur de Troie, même désarmé. Tel était sans doute le sentiment du peuple ou des poètes qui modifièrent ainsi la légende homérique. Nous ne possédons que peu de monuments où la mort d'Agamemnon soit représentée ; néanmoins il est curieux d'étudier, sur ces monuments, dans quelle mesure l’art grec paraît s'être inspiré à la fois d'Homère et des tragiques. Une peinture de vase (1) nous montre Agamemnon vêtu à la mode orientale ou plutôt demi vêtu, et assis sur un riche tapis qui rappelle le luxe déployé par Clytemnestre pour recevoir son mari ; un jeune homme nu lui passe une main autour du cou et s’apprète à le frapper d'un couteau qu'il tient dans l’autre main: est-ce Egisthe ou un satellite d'Egisthe ou un des prisonniers Troyens que, suivant une autre tradition, Clytemnestre aurait armés contre Agamemnon ? Une femme brandit une arme d’une espèce inconnue; c'est sans doute Clytemnestre. Elle tourne les yeux du côté d'Agamemnon, mais elle semble s'éloigner de la scène de meur- tre: où va-t-elle ? se prépare-t-elle à frapper Cassandre qui, dans tous les cas, n’est pas présente ? Un serviteur se retire emportant un bassin ; est-ce, comme on l’a voulu, une allusion à une tradition d’après laquelle Agamem- non aurait été tué dans un bain ? Un Hermès ityphallique, à droite, semble posé sur un amas de pierres: est-ce un symbole de la passion d'Egisthe pour Clytemnestre, ou, comme le prétend Raoul Rochette, un témoin appro- prié d’un festin où tous les convives sont ivres ? Deux bas-reliefs, représen- tant le même sujet, donnent heureusement lieu à moins de questions; sur l'un (2) Agamemnon est déjà entouré du filet fatal qui lui couvre la poitrine, les bras et la tête sauf le visage ; il s’est réfugié vers un autel sur lequel au moment d’être frappé il pose déjà un genou ; cet autel déplace le lieu de la scène : nous ne sommes plus dans la salle du festin, à moins de considérer cet autel comme celui où l'on faisait des libations avant le repas, et où l'on brûlait les prémices des mets, Dans tous les cas, ni Homère ni les tragiques ne parlent de cette circonstance. Egisthe est armé de la machæra ; Clytem- neste brandit une espèce de lance ou plutôt un banc de la salle du festin qu'elle laisse retomber lourdement sur la tête d'Agamemnon : détail imaginé

(4) Raoul Roch., M. I., pl. 28, Overb., Die Bildw., 680, n° 4 (pl. XXVIII, n° 4). (2) R Roch., M. L., 29. Overbeck, Die Bildw., 682, 5 (pl. XXVIU, 3).