Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/418

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un cratère placé auprès du dernier cadavre autorisait la conjecture du rhéteur. Un autre avait eu le bras coupé au moment où il saisissait une coupe ; etpeut-être la coupe se voyait-elle à ses pieds dans le tableau. On pourrait, ilest vrai, faire une supposition contraire : de ces trois convives, l’un était re- présenté buvant ou mangeant, l’autre se penchant sur un cratère, l’autre portant une coupe à sa bouche; Philostrate, apercevant le meurtrier près d'eux, les aurait vus déjà tués, chacun dans une attitude différente ; c’est l'opinion de Brunn, à laquelle l'étude du texte ne semble pas favorable, ni cette hésitation même de Philostrate qui ne sait si le premier mange ou boit; hésitation qu'il n'aurait point eue, si le peintre avait choisi le mo- ment qui avait précédé et non celui qui avait suivila mort. Un quatrième, frappé sans doute dans le dos, était tombé sur la table qu'il avait entraînée dans sa chute. C'est précisément l'altitude d'un personnage représenté sur une urne étrusque, dans une scène de meurtre au milieu d'un festin; il est à demi couché, la figure contre la table qu'il tient encore et qu’il semble avoir saisi pour s'arrêter dans sa chute (1). Un cinquième touchait le sol avec les épaules et la tête ; cette attitude qui peut paraître singulière n’est pas sans exemple ; nous la retrouvons sur un bas-relief qui représente la mort d'Egisthe et de Clytemnestre. Egisthe est tombé à la renverse, ses jambes repliées reposent encore sur l'appui d’un siège ; la poilrine est suspendue entre le siège et la terre ; la tête Louche le sol; les bras sont étendus (2). Nous devons observer avec quel soin le peintre, soit par des accessoires heureuse- ment placés, soit par l'attitude, montrait que tous les personnages avaient été tués dans l'état d'ivresse. Non seulement il restait ainsi fidèle à la légende, mais encore ses cadavres ne ressemblaient pas aux cadavres d’une autre scène de meurtre ; il échappait ainsi au lieu commun en peinture. Philos- trate toutefois outre peut-être l'intention du peintre, quand pour expliquer qu'aucun des cadavres n'est pâle, il observe que ceux qui meurent dans l'or- gie conservent encore pendant quelque temps la vivacité du teint; pour rendre la scène plus pathétique, il fallait qu’on pût croire que le meurtre venait de s’accomplir ; or rien n'était plus propre à produire cette illusion que la vue de cadavres encore chauds et palpitants, légèrement empreints encore des couleurs de la vie. Il est inutile de supposer avec Brunn (3) que Philostrate a confondu ici l’effet d'une lumière particulière avec les effets de l'ivresse.

Deux questions se posent encore au sujet de notre tableau. Egisthe était-il représenté ? S'il l'avait été, dit Welcker, Philostrate aurait décrit son atti- tude. On peut ajouter que le tableau représentant la mort de Cassandre, non celle d'Agamemnon, le rôle d’Egisthe est terminé, et que sa présence


(1) Inghirami, Gal, Om, Had, pl. 91.— Mongez et Wicar, galerie de Florence el palais Pitt. Nous avons fait reproduire, d'après ce dernier ouvrage, le personnage en question.

(2) Bas-relief du musée Pio-Cl. (M. P. CL V, 22; Oberveck, Die Bildw. Atlas XXIX, 1).

(5 Brunn, Die Ph Gem., p. 231.