Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/427

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il s'offre à nos yeux dans un lableau. D'une part, en effet, nous craindrons pour l'enfant ainsi environné d'abeilles qu’il est plus aisé de prendre pour des insectes irritables que pour des messagères de la muse ; d'autre part, en sup- posant leur rôle nourricier clair pour tous, nous ne saurons si c'est l'âme ou le corps qu’elles nourrissent (1). Ce sont là de vaines subtilités : le Grec voyait dans les abeilles des êtres intelligents, en communication avec les dieux et les hommes; il ne distinguait pas entre les abeilles symboliques et les abeilles réelles ; qu’il se les représentat en esprit, qu'il les aperçût dans la nature ou dans un tableau, elles lui apparaissaient comme chargées d'une double at- tribution, celle de faire leur miel, celle d'inspirer aux poètes les doux ac

cords; ou plutôt les deux attributions se confondaient en une seule, car c'était le suc recueilli par les abeilles sur les fleurs qui se transformait, suivant qu'il était déposé dans une ruche ou sur les lèvres d'un homme, en miel doré et parfumé, ou en miel poétique, c'est-à-dire en un langage mesuré et cadencé à souhait pour le plaisir de l'oreille. Il n'y a donc pas lieu ici de blâmer le peintre ou de supposer que Philostrate, en composant ce tableau d'imagina- tion, s'écarte des habitudes de l'art antique, Tel jaspe antique nous montre une abeille sortant de la bouche d'un personnage que les archéologues ont cru reconnaître pour Platon (2). Telle gemme (3) représente une tête laurée, environnée d'abeilles: selon Boettiger (4), cette tête est celle de Jupiter enfant ; selon Welcker, qui, comme Zoega, ne reconnaît pas dans cette image les traits du Père des dieux, ce serait Pindare ou un autre grand poète de la Grèce. Quelque explication qu’on adopte, les abeilles ont toujours dans cette représentation un rôle symbolique; ou elles sont là pour inspirer à Jupiter la clémence (5), ou elles apportent à un poète le langage « aux douceurs sou- veraines ». Quel est le spectateur qui redouterait les piqûres d'abeilles pour Jupiter ou pour Pindare ? Qui serait tenté de croire que ces abeilles, déran- gées dans leur travail, sont sorties de leurs ruches pour se venger d’un im- portun ? Matz, qui partageait les scrupules de Friederichs à l'égard de notre tableau, cite une composition du peintre Schwind, qui aurait compris, dit-il, l'étrange erreur du peintre ancien ou de Philostrate. Dans le tableau de Schwind, en effet, un essaim d'abeilles voltigeait au-dessus de la tête de Pindare enfant et s'apprètait à descendre sur ses lèvres ; mais Rhéa éten- dait la main pour les écarter. On ne saurait être plus ingénieux ni mieux dé- nalurer aussi l'esprit d’une légende grecque. Rhéa chasser les abeilles ! c'eût été vouloir étouffer la poésie au berceau. Nous doutons qu'en pareil cas


(1) Friedr., Die Ph.

(2) Cadès, Grosse Abdrucksammt., XXXIT, 16; Monum. dell’ Instit., If, tav. 7, 2. Stephani {Compte rendu de la commiss. arehéol. de Saint-Pétersbowrg, pour l'année 1811, p. 98, note 6) signale l'erreur de Braun qui a pris l'abeille pour un papillon.

(3) Winck., A. L., t. XIL.

(4) Boottiger, Amalth., t. 1, p

(5) Zèvs pedégios. CE. Vinet., Di




dl. B. Arts, art. Averise.


À