Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/430

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s'abîme au milieu des flots, avec une partie des Gyres ébranlées par le tri- dent de Poseidon.

Le sujet ainsi conçu est évidemment plus dramatique, puisque Ajax périt après avoir échappé une première fois à la mort; il est aussi plus pittoresque puisqu'il permet au peintre de représenter tout à la fois, les effets de la foudre qui consume le navire, l'agitation des flots qui battent les Gyres, Poseidon armé du trident, Ajax isolé sur une pointe de rocher, épuisé de fatigue, mais conservant une âme indomptable. Un commentateur a cependant critiqué le moment choisi et la lradilion adoptée par l'artiste : quoi, dit-il, nous avons devant les yeux un dieu courroucé, et ce dieu, au lieu de menacer et de frapper le coupable lui-même, tourne sa fureur contre un rocher ; si bien que rien n’empèche le spectateur de croire qu'il se sauvera à la nage, comme il l'a déjà fait une première fois! que devient alors le preslige du dieu? Brunn répond à Friederichs : l’action de Poseidon est molivée par les paro- les du héros : il s’est vanté oir échappé non seulement à la foudre mais aux flots soulevés contre lui; il croit avoir vaincu Poseidon lui-mème ; il est juste qu'il périsse englouti par la mer, et non tué dun coup detrident. Le dieu, en frappant le rocher semble lui dire : voici la forfanterie à l'épreuve; voyons si tes bras sont assez forts pour te soutenir longtemps au milieu des vagues soulevées. La critique et la réponse nous paraissent également sub- tiles : le spectateur qui voit Poseidon lever le trident sent bien qu'Ajax est perdu ; si Ajax a pu atteindre les Gyres, c'est parce que Poseidon lui était encore favorable ; en bravant le dieu, il s'est montré indigne de cette pro- tection : il est réduit à lui-même ; il faudrait être aussi impie que le héros pour croire qu'il puisse se soustraire au châtiment. Qu'importe dès lors le moyen employé par le dieu pour se venger, si la vengeance est certaine ? D'ailleurs, le trident garde son rôle qui est d'ébranler la terre, non d'enlever un homme, comme avec une fourche, ce qui serait, on l’avouera, une image assez déplaisante à présenter aux regards.

Welcker suppose que les Gyres étaient placées au milieu du tableau entre Poseïdon qui poussait son char sur les eaux et le navire enflammé queles vents emportaient au loin. Cette ordonnance est sans doute simple et nette ; elle permet de distinguer aisément les personnages et les objets. Il est évident néanmoins que le peintre aurait pu représenter les Gyres et Ajax d’un côté du tableau, le navire au dernier plan, Poseidon s'approchant du rocher, et par conséquent tout près du spectateur. Cette disposition aussi claire que la précédente serait moins symétrique et ne donnerait pas au navire la même importance qu'aux personnages. Il n’est pas non plus néces- saire de se représenter Poseidon monté sur un char; les monuments figurés nous le montrent tantôt porté par un cheval ou un hippocampe (1), tantôt po-





(1) Monnaie de Potidée (Milling. SylL, pl. I, n° 22, Muller-Wics., Il, 18). Pâte antiq. du Musée de Berlin (Müll.-Wics., II, n° 18).