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Ce sont Ià sans doute aussi les signes qui ont appris à Philostrate l’origine des chiens représentés par l’artiste. Le lièvre est également un animal domestique : sur telle coupe du Musée de Berlin, un enfant tient un lièvre en laisse. Mort ou vivant, il est souvent offert en cadeau par les amants à l’objet de leur tendresse. Dans la comédie nouvelle, mon petit lièvre, mi lepus, est un terme d’affection, au même titre que mon passereau ou ma colombe[1] ; ce qui prouve que, comme ces animaux, il faisait les délices des femmes et des enfants. La réunion de ces divers animaux dans notre peinture et l’usage auquel l’artiste les a fait servir n’ont donc rien qui puisse nous surprendre ; ici encore nous reconnaissons les mœurs antiques.



XVIII

Le Cyclope.


Ces moissonneurs et ces vendangeurs que tu vois, mon enfant, n’ont fait ni semailles ni plantations ; le sol de lui-même produit pour eux la vigne et les moissons. Ce sont en effet des Cyclopes, pour lesquels comme le veulent les poètes, je ne sais pour quel motif, la terre est fertile sans culture. La terre a donc fait d’eux des pasteurs, en nourrissant leurs troupeaux dont le lait leur sert de boisson et d’aliment. Ils n’ont ni place publique ni un lieu pour délibérer, ni demeures privées ; ils habitent les cavités de la montagne. Négligeant tous les autres, considère en cet endroit le plus sauvage d’entre eux, Polyphème, fils de Poseidon ; son unique sourcil dessine un arc sur son œil unique ; son nez aplati descend sur sa lèvre. Voilà le monstre qui dévore les hommes comme un lion féroce, mais en ce moment il ne songe point à un tel repas, ne voulant paraître ni vorace ni odieux ; car il aime Galatée qui prend ses ébats dans cette mer, et la contemple du haut de la montagne. La syrinx est encore sous son bras ; immobile, il chante, à la manière des pasteurs, que Galatée est blanche et fière et plus douce que le raisin, et que pour Galatée il élève des faons et des petits ours. Il chante ainsi sous une yeuse, et pendant ce temps, ne sait ni où paissent ses brebis, ni combien elles sont, ni où est la terre. Le peintre lui a conservé l’aspect sauvage et terrible ; il secoue une chevelure épaisse et droite comme un pin ; ses mâchoires voraces découvrent des dents aiguës ; sa poitrine, son ventre, ses bras jusqu’aux ongles, tout est velu. Il veut prendre une tendre expression, conforme à son amour ; mais son regard a quelque chose de sauvage et de sournois, comme celui des bêtes féroces, quand

  1. Plaut, Casina, I, 1. 50. — Dans le Persan (III, 3) les banquiers qui prennent la fuite sont comparés aux lièvres lâchés dans le cirque.