Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/460

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elles cèdent à la nécessité. Galatée, de son côté, se joue noblement sur les flots, menant un attelage de quatre dauphins unis par les mêmes sentiments comme par le même joug, et que dirigent, à l’aide du frein, les filles de Triton, servantes de Galatée, pour prévenir toute incartade de leur part, toute rébellion contre les rênes. Au-dessus de sa tête, elle déploie au souffle du zéphyr une étoffe légère couleur de pourpre qui lui donne de l’ombre, sert de voile au char, éclaire son front et sa tête d’un reflet charmant, moins charmant cependant que l’incarnat de ses joues. Ses cheveux ne flottent point au gré du vent ; chargés d’eau, ils défient les efforts du zéphyr. Le coude droit est en saillie, et l’avant-bras, d’une éclatante blancheur, s’incline au point que les doigts reposent sur l’épaule délicate de Galatée. Ses bras ont de molles rondeurs, les seins ont de la fermeté ; le genou même a sa grâce. Le pied, d’une délicatesse conforme à la beauté de l’ensemble, pose sur la mer et l’effleure comme pour servir de gouvernail au char. Les yeux sont une merveille ; leurs regards, comme perdus dans l’espace, semblent atteindre les dernières limites de la mer.



Commentaire.


Les poètes ont feint que Polyphème, fils de Poseidon, s’élait épris d’une nymphe de la mer. Un monstre sans pitié implorant la compassion d’une femme, le sauvage habitant d’une île redoutée apprenant à chanter, à jouer de la syrinx ou de la lyre pour attendrir celle qu’il aimait : c’était là une victoire de l’amour, digne d’être célébrée ! Aussi le fut-elle par Philoxénos, par Callimaque, par Théocrite, par Ovide, par Virgile. Le sujet sollicita également l’imagination des artistes ; si le peintre ou le sculpteur ne pouvait faire entendre les plaintes harmonieuses de Polyphème, du moins il avait une scène gracieuse à montrer, Galatée se jouant au milieu des flots et passant, indifférente et superbe, devant son étrange amant. Mais comment représenter Polyphème ? Les poètes en avaient fait un monstre horrible. « Rien n’est prodigieux comme ce géant, dit Ulysse dans Homère, il ne ressemble pas aux autres humains qui se nourrissent de froment, mais au sommet touffu d’une haute montagne entièrement isolée[1]. » Il n’a qu’un œil, comme l’apprend la suite du récit homérique, et cependant ce n’est pas ce détail qui paraît avoir surpris tout d’abord Ulysse et ses compagnons. Dans Théocrite, il fait lui-même son portrait : « J’ai un épais sourcil qui s’étend sur mon front de l’une à l’autre oreille ; je n’ai qu’un œil, et un long nez descend sur ma lèvre[2]. » Ramener le géant à des proportions plus humaines, ennoblir ses

  1. Od., ch. ix, 190.
  2. Théocr., le Cyclope, v. 31, 32.