Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/466

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sang s’échappe de la blessure comme l’eau d’une source. À voir l’air féroce, l’aspect de sanglier que le peintre a donné au monstre, on le croirait plus capable de manger les étrangers vivants que de les tuer par passe-temps. La foudre lancée du ciel tombe sur l’arbre et doit l’embraser, sans pourtant en effacer la mémoire : car le lieu, témoin de ces horreurs, s’appelle encore, mon enfant, « les têtes de chêne ».



Commentaire.


On voit encore près de Coronée, sur une hauteur[1], les ruines d’une ancienne ville, Panopée, qui dominait la route menant de Béotie en Phocide, du lac Copaïs à Delphes. Panopée était la principale forteresse des Phlégyens, peuple de brigands, qui répandaient la terreur dans toute la contrée voisine. Ils ne tenaient aucun compte de Jupiter, dit Homère, et c’est Ià, dans l’antiquité homérique, le plus grand outrage qui puisse être adressé à un peuple. Phlegyas, un de leurs rois, et probablement le plus renommé, puisque après lui la contrée s’appela de son nom Phlegyanthide, subissait dans les enfers un supplice cruel : c’est lui qui dans Virgile s’écrie au milieu de l’épaisse nuit des enfers : Apprenez par mon exemple à être juste et à ne pas mépriser les dieux[2]. Phlegyas expiait sans doute quelque attentat à la majesté divine. Tout prêts à braver le souverain des dieux, les Phlégyens n’étaient point capables de respecter la puissance d’Apollon. Selon Pausanias[3], les Phlégyens avaient poussé l’insolence jusqu’à attaquer le temple d’Apollon delphien : ils furent presque tous exterminés par la foudre ou engloutis dans un tremblement de terre. Enfin la Fable parle d’un roi phlégyen du nom de Phorbas qui, posté à Panopée, interceptait la route de Delphes à tous les étrangers qui venaient consulter Apollon et lui offrir des sacrifices.

Le sujet de notre tableau est emprunté à cette légende : doué d’une force extraordinaire, Phorbas provoquait soit à la course, soit à la lutte, soit au pugilat, les adorateurs du dieu. La Fable imagina qu’Apollon, acceptant le défi de Phorbas, avait pris les cestes pour vaincre le brigand qui en déshonorait l’usage. La beauté du dieu opposée à la laideur d’une espèce de monstre, la force vaincue par l’adresse, l’impiété et l’insolente confiance en soi terrassée par ses propres armes, tels étaient les avantages du sujet choisi par l’artiste. Si on veut bien se rappeler quel parti les artistes modernes ont tiré soit de la lutte de David contre le géant Goliath, soit du combat de l’archange saint Michel contre le démon, on ne sera pas surpris de voir un peintre grec représenter la victoire d’Apollon sur Phorbas. C’est le principe même de l’art qui semble triompher avec le dieu, comme avec saint Michel ; la force et la

  1. Au sud d’un village appelé Ἄγιος βλάσις. Cf. Bursian, Geogr. von Griech., I, Band, p. 168.
  2. Vire, Æn., VI, 618.
  3. Paus., IX, 36, 2 et 3.