Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/507

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de véritable description sont rares dans la description de Philostrate ; un bûcher, des victimes égorgées, un cadavre d’une taille remarquable, une femme richement parée, entr’ouvrant les lèvres comme pour appeler son mari et se jetant dans les flammes : voilà toute la composition, à s’en rap- porter uniquement au texte grec. Les autres chefs tués devant Thèbes avaient-ils aussi leur lit fanèbre et leur bûcher ? On peut le conjecturer, non l’affirmer. Les parents de Capaneus sont mentionnés ; étaient-ils présents ? Philostrate ne le dit pas d’une façon précise. On peut supposer que s’ils avaient assisté à la scène, Philostrale aurait décrit leur attitude désolée, leur visage assombri par la douleur. Dans Euripide, Iphis, le père d’Evadné, voit sa fille se précipiter dans les flammes : c’est là une des situations les plus pathétiques de la pièce grecque ; aussi le chœur s’adressant à Iphis, s’écrie-t-il : « Hélas ! hélas ! que ton sort est cruel, malheureux, d’avoir été témoin de ce trait d’audace ! et Iphis répond : Vit-on jamais personne plus à plaindre que moi (1) ? » Peut-être le peintre avait-il cru devoir supprimer ce personnage ; il ne semble pas, en effet, avoir voulu représenter une scène de deuil et d’affliction, mais le triomphe de l’amour conjugal ; ce qui le préoc- eupe, ce n’est pas le caractère pathétique de son sujet, c’est ce qu’il y a de noble, d’élevé, d’attendrissant et d’enviable dans le sacrifice d’Evadné. A ce point de vue, nous ne saurions blâmer la présence des Amours, qui allument le feu du bûcher avec la même torche dont ils embrasent les cœurs d’amants ; ailleurs l’idée nous semblerait peut-être subtile et d’une grâce affectée ; ello nous paraît ici conforme au sentiment dont l’artiste a voulu se faire l’inter- prète ; elle tend à présenter la mort sous un aspect plus aimable qu’effrayant ; c’est, en effet, la mort qui réunit et non celle qui sépare. Il faut se rappeler, d’ailleurs, pour bien comprendre le rôle des Amours, qu’en allumant ici le bûcher de Capaneus avec leurs torches, ils se conformaient à la coutume anti- que. Dans l’Enéïde, les Troyens, réunis autour du cadavre de Misène, baissent aussi leurs torches et mettent le feu au bûcher en se détournant :

Subjectam more parentum Aversi tenuere facem (2).

Le génie de la mort lui-même, s’il l’on s’en rapporte à l’interprétation de Welcker, aurait été, par allusion à cette coutume, représenté quelquefois avec une torche renversée (3). Revenons à la comparaison avec Euripide : dans le poèle grec, Evadné se précipite d’un rocher élevé qui domine le bûcher (4) ; Philostrate ne parle point de ce rocher ; un corps tombant d’une hauteur n’était peut-être point une image à offrir aux yeux ; peut-être

(1) Eur., Suppl, 1074, éraduct.-Pesson., II, p. 405.

(2) Virg., En. VI, 224. CE, Thuc., Il, 52 ; Hiade, XXI, 117 ; Soph, Trach., 1198, ete.

(3) Welcker explique ainsi le groupe célèbre de Saint-lidefonse, A. D. 1, p. 315 : d’après le savant archéologue, l’artiste aurait réuni le génie de la Mort ct celui du Sommeil.

(4) Suppl, 1644.