Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/508

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l’artiste avait-il représenté Evadné montant à grands pas sur le bûcher, avec tous les signes de l’impatience et d’une hâte excessive. De même nous ignorons quels étaient les ornements d’Evadné ; le poète est sur ce point aussi vague que le sophiste, et nous ne pouvons savoir comment le peintre avait suppléé au silence d’Euripide. Elle s’était ornée comme une victime, dit Philostrate ; des bandelettes, des étoffes blanches, des fleurs peut-être, composaient sa dernière parure ; elle devait avoir aussi ses joyaux, ses colliers et ses bracelets, tous ornements qui suivaient souvent la femme antique jusque dans le tombeau. Un détail étranger à Euripide, ce sont les victimes égorgées sur le bûcher. Euripide fait dire au chœur[1] : « Je vois hors du palais les offrandes consacrées aux morts par Thésée » ; mais ces offrandes, ces anathemata, consistaient sans doute en guirlandes de fleurs, en bandelettes, en corbeilles de fruits, en vases remplis de lait ou de miel pour les libations. Il est pourtant question d’un sacrifice sanglant dans les Suppliantes ; mais ce sacrifice est célébré, moins en l’honneur des morts que pour consacrer le serment par lequel Adraste promet à la ville d’Athènes une reconnaissance éternelle. C’est Athénà qui prescrit les rites de la cérémonie. « Tu as dans ton palais, dit-elle à Thésée, un trépied d’airain qu’après avoir ruiné Ilion, Hercule, courant à de nouveaux exploits, te chargea de placer près de l’autel pythien. Sur ce trépied égorge trois brebis et grave le serment dans la cavité intérieure ; puis mets-le sous la garde du dieu qui règne à Delphes, comme un monument de ce serment et un témoignage aux yeux de la Grèce[2] ». L’artiste en représentant des victimes égorgées sur le bûcher de Capaneus, avait-il voulu faire allusion à ce serment et au sacrifice qui l’accompagne ? Nous ne le pensons pas ; il aurait aussi représenté le trépied, et Philostrate, plein de la lecture d’Euripide, n’aurait pas oublié de signaler ce détail. Nous croyons plutôt que l’artiste s’était rappelé les anciennes funérailles des héros et qu’il a mêlé, à des traits donnés par Euripide, d’autres traits qu’il empruntait aux cérémonies funèbres de l’âge homérique.



XXXI

Thémistocle.


Ce Grec entouré de barbares, ce personnage à l’aspect viril, au milieu d’hommes efféminés, cet Athénien, car il porte le tribon, prononce, je crois, quelque éloquent discours pour convertir son auditoire et l’arracher à la mollesse. Nous sommes chez les Mèdes, au milieu même de Babylone : voici l’insigne royal, l’aigle d’or sur le bouclier échancré ; voici sur son trône d’or le roi lui-même, étoilé comme un paon. Nous ne louerons pas le peintre d’avoir imité la tiare, la calasi-

  1. Suppl., 983.
  2. Ibid., v. 197, trad. Pessonneaux, II, p. 409.