Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/521

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tredit son sens allégorique et par conséquent sa raison d’être. Brunn répond que Philostrate a dû se tromper dans l’explication du geste. Si Echo porte sa raain à la bouche, ce ne serait point, selon cet archéologue, avec l’intention de montrer que le contact seul de la main peut faire cesser les vibrations d’un vase métallique, mais bien pour caractériser sa vraie nature qui est de répéter les paroles étrangères sans pouvoir produire aucun son. Brunn cite à l’appui de son opinion un tableau campanien qui représente Narcisse (1) ; dans cette peinture, on apercoit en effet, à l’arrière plan, à demi cachée par un rocher couvert de buissons, une figure de femme qui met un doigt sur sa bouche. Les archéologues présument que cette femme est Echo dont la légende est étroitement unie à celle de Narcisse. Il nous semble bien aussi à nous que ce personnage est Echo ; mais si Echo metici un doigt sur sa bouche, c’est pour indiquer qu’elle se tait, depuis que Narcisse épris de lui-même ne fait plus retentir les forêts de sa voix et qu’elle se taira désormais, Narcisse étant con- damné à mourir, Le geste que fait Echo est donc ici, selon nous, de circons- tance ; il ne sert point à caractériser la nature du personnage. Voyons si dans notre tableau, le geste d’Echo ne s’expliquerait pas d’une manière aussi na- turelle. Le son produit par un vase d’airain, transmis d’un vase à l’autre, va en s’affaiblissant et finit par se perdre dans l’air ; il s’éteint, pour ainsi dire, de lui-même ; une statue ou une figure de femme mettant le doigt sur sa bouche, n’offre-t-elle pas comme une image de ce phénomène qui n’arrive point de lui-même à l’existence, mais semble se la ravir à lui-même par suite de son évolution ? Sans doute nous ne sommes plus d’accord avec la tradi- tion merveilleuse suivant laquelle les vibrations de l’airain de Dodone auraient duré éternellement sans l’intervention d’une cause extérieure ; mais cette tradition n’a pour elle que l’autorité assez suspecte de Philostrate lui-même qui pourrait bien avoir renchéri sur la légende pour en tirer une explication aussi subtile qu’inutile d’un geste naturel, Une phrase obscure et mal com- prise des commentaires à pu faire croire qu’Étienne de Byzance était d’accord sur ce point avec Philostrate : il n’en est rien ; ce grammairien se contente de dire que si on touche un des trépieds de Dodone, le son se communique de l’un à l’autre et que la résonnance persiste jusqu’à ce qu’elle revienne à son point de départ (2). Voilà sans doute ce qui se passait à Dodone et voilà aussi le sens du geste que l’artiste avait donné à la statue d’airain ; Echo reçoit du dehors l’impulsion qui la fait parler, mais c’est elle-même qui s’impose le


(1) Helbig, 1866 ; Mur. Borb., VIL, 2 ; Wieseler, Echo, fig. 2, p. 67 ; Brunn, Die phil. Gem., pe 277.

(2) Voici le pass. d’Ét. de Byzance : rptrnèas roïobs Buy mao dose ro5 Eve rrôpévou maparéune di 5h : Vévreus vhv énfynau Éxéarip ua dragéveun rôv Hyov dypie adûte ro érès yaras. Une des traductions de Gronovius (il en donne trois du fragment d’Ét. de Byz. où se trouve ce passage) est ainsi conçue : « Adeo ut si unum percutias strepitum simul et contactum ad unumquemque eorum transmittas qui perdurat usque dum sonus ad unum illum redierit. » {De Dodone, fragment Stephani, Jac. Gron, 161, p. 9.)




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