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silence. Enfin, si cette explication paraît trop subtile, ne pourrait-on pas dire que si Echo porte la main à ses lèvres, ce n’est pas comme pour le dieu du Silence afin de montrer qu’elle se tait, mais bien pour indiquer qu’elle parle et que tout son rôle est de parler ? Elle n’est qu’une bouche à proprement parler ; il est bien juste qu’elle désigne tout spécialement sa bouche à l’attention du spectateur.



XXXIV

Les Heures.


Que les portes du ciel sont confiées à la garde des Heures, Homère seul a pu le savoir et le dire, car il avait vécu avec les Heures, ayant eu lui-même le ciel pour premier séjour ; mais tout homme est capable de reconnaître le sujet de notre peinture. Descendues du ciel sous la forme qui leur est propre, les mains enlacées, les Heures mènent, j’imagine, la ronde de l’année ; la terre, savante en l’art de plaire, produit sous leurs pas les richesses de toutes les saisons. Je ne dirai pas aux Heures du printemps : Ne foulez pas l’hyacinthe et les roses ; car foulées par elles, ces fleurs n’en paraissent que plus charmantes et retiennent je ne sais quel parfum émané des Heures mêmes. Je ne dirai point aux Heures de l’hiver : Ne marchez pas sur la terre molle des sillons ; car les épis naîtront là où elles auront posé leurs pas. Celles-ci, qui sont blondes, marchent sur la pointe des épis sans les briser ni les courber, tant elles sont légères, tant elles pèsent peu sur la moisson ! C’est un spectacle charmant que de vous voir, ô vignes, essayer de retenir dans leur vol les Heures de l’automne ; car vous les aimez, ces Heures auxquelles vous devez votre beauté et la liqueur sucrée de vos fruits. Mais ce n’est là que le côté rural, pour ainsi dire, de notre tableau ; pour les Heures elles-mêmes, elles sont pleines de charme et peintes avec un art merveilleux. Vois en effet comme elles semblent bien chanter, avec quelle rapidité tourne leur ronde, comme nulle d’entre elles n’est vue de dos, toutes semblant venir au-devant du spectateur. Elles ont un bras levé, leur chevelure flotte en liberté, leurs joues sont animées par la course ; leurs yeux même participent à la cadence. Je ne sais si elles ne nous permettent point de raconter une fable sur le peintre ; il me semble en effet qu’il rencontra les Heures comme elles dansaient, que sur leurs exhortations pressantes il se mit à l’ouvrage, les déesses voulant ainsi montrer, j’imagine, que le sentiment de la grâce est nécessaire au peintre.