Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/524

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paraissaient venir au-devant du spectateur. Un critique, voyant là autant de contradictions, se hâte de conclure contre l’authenticité du tableau : Philos- trate aurait tout imaginé, et dans soninexpérience des choses de l’art, ilaurait décrit des attitudes qui ne peuvent exister ensemble ; ou.plutôt son imagi- nation mobile aurait composé un groupe pour le défaire ensuite et le refaire d’une autre façon. Le reproche est grave, mais si grave qu’il semble se détruire de lui-même. Comment supposer chez Philostrate, ou une telle ignorance ou une telle irréflexion ? Il est même à remarquer que les préten- dus détails contradictoires sont réunis dans la même phrase ; si bien que s’il y à contradiction, elle est grossière et flagrante. L’examen des monuments figurés nous permet, croyons-nous, de comprendre et de justifier Philos- trate. Par exemple, si nous considérons le monument connu sous le nom d’autel des douze dieux (1), les Heures se suivent au lieu de former un chœur, et cependant elles exécutent une danse sacrée ; car deux d’entre elles relè- vent leur chiton, et celle du milieu, repliant le bras vers l’épaule, soutient légèrement avec deux doigts le pan de sa palla. Ainsi les Heures sont dispo- sées sur une seule ligne, comme elles pouvaient l’être dans notre tableau, et l’une d’elles fait le geste qui semble indiqué par Philostrate ; il est vrai qu’elles ne se tiennent pas les mains. Mais sur un autre côté de l’autel trian- gulaire qui représente les trois Grâces, celle du milieu donne la main à ses deux compagnes ; de sa main libre, l’une de celles-ci relève son chiton ; l’autre a saisi son voile. On pourrait presque leur appliquer la phrase suspecte de Philostrate, car elles semblent entraînées par un mouvement circulaire et en même temps sont tournées vers le spectateur. La seule différence c’est qu’elles paraissent s’avancer avec lenteur de gauche à droite, tandis que les Heures de Philostrate tournent avec rapidité. En admettant cette disposition nous sommes obligé, comme on le voit, de supposer queles Heures ne se tenaient pas toutes par la main et, tout en menant une espèce de ronde, ne formaient pas un cercle complet ; si cette supposition paraît trop hardie, on pourrail encore concevoir une autre ordonnance : en effet, si sur plusieurs personnes dansant en cercle, quelques-unes ou une seule, suivant le nombre, sont tour- nées en dedans, toutes les autres étant tournées en dehors, il est évident que l’artiste pourra les montrer toutes de face entièrement ou presque de face au spectateur ; reste à savoir si cette disposition était familière à l’anti- quité, ou si seulement elle était employée par l’art ; le bas-relief du Louvre, connu sous le nom des Danseuses (2), nous paraît lever tout espèce de doute à ce sujet. Cinq jeunes filles qui semblent faire partie d’un vaste chœur qui se déroulerait autour d’un temple, se tiennent par la main ; trois d’entre elles, vues de dos ou de profil, ont le côté droit du corps tourné vers les

(1) Au Louvre, Frühner, notice n° 1 ; Bouillon, INT, autels, pl. T, Müller-Wieseler, D. d. a. K., 1, pl. XI, 13. (2) Clarac, Musée de sculpt., 259, pl. 1, 163.