Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/480

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d’esperer en nos forces il n‘y avoit point d’apparence.

En fin tout ce que je peus, ce fut de me jetter aux mains de celuy qui tenoit la robbe de la nymphe, et ne pouvant mieux je me mis à l’esgratigner et à le mordre, ce que je fis avec tant de promptitude que la premiere chose qu’il en apperceut fut la morsure. – Ah ! courtoise Leonide, me dit-il lors, comment traitterez vous vos ennemis puis que vous rudoyez de ceste sorte vos serviteurs ? Encores que je fusse bien hors de moy, si est-ce que je recogneus presque ceste voix, et luy demandant qui il estoit : Je suis, dit-il, celuy qui viens porter le cœur de Lindamor à ceste belle nymphe.

Et lors, sans se lever de terre, s’adressant à elle, il continua : J‘advoue, madame, que ceste temerité est grande, si n’est-elle pas toutefois esgale à l’affection qui l’a produitte. Voicy le cœur de Lindamor que je vous apporte : j’ay esperé que ce present seroit aussi bien receu de la main du donneur que d’une estrangere. Si toutesfois mon desastre me nie ce que l’amour m’a promis, ayant offensé la divinité que seule je veux adorer, condamnez ce cœur que je vous apporte à tous les plus cruels supplices qu’il vous plaira ; car, pourveu que sa peine vous satisface, il la patientera avec autant de contentement que vous la luy ordonnerez.

Je cogneus aisément alors Lindamor, et Galathée aussi, mais non sans estonnement toutes deux : elle, voyant à ses pieds celuy qu’elle avoit pleuré mort, et moy, au lieu d’un jardinier, ce chevalier qui ne cede à nul autre de ceste contrée. Et cognoissant que Galathée estoit si surprise qu’elle ne pouvoit parler, je luy dis : Est-ce ainsi, ô Lindamor, que vous surprenez les dames ? ce n’est pas acte d’un chevalier tel que vous estes. – Je vous advoue, me dit-il, gratieuse nymphe, que ce n’est pas acte d’un chevalier, mais aussi ne me nierez-vous pas que ce ne soit