Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/481

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celuy d’un amant. Et qui suis-je plus qu’amant ? Amour qui apprit à filer aux autres, m’apprend à estre jardinier. Est-il possible, madame, dit-il s’adressant à la nymphe, que ceste extreme affection que vous faites naistre, vous soit si desagreable que vous la vueilliez faire finir par ma mort ? J’ay pris la hardiesse de vous apporter ce que vous vouliez de moy : ce cœur ne vous doit-il pas estre plus agreable en vie que mort ? Que s’il vous plaist qu’il meure, voilà un poignard qui abregera ce que vostre rigueur fera avec le temps. La nymphe à toutes ces paroles ne respondit autre chose, sinon : Ah ! Leonide, vous m’avez trahie !

Et à ce mot elle se retira dans l’allée où elle trouva un siege fort à propos, car elle estoit tant hors de soy qu’elle ne sçavoit où elle estoit. Là le chevalier se rejette à genoux, et moy je m’en vins à l’autre costé, et luy dis : Comment, madame, vous dites que je vous ay trahye ? Pourquoy m‘ accusez-vous de cecy ? Je vous jure par le service que je vous ay voué n’avoir rien sceu de cet affaire, et que Fleurial m’a deceue aussi bien que vous. Mais je loue Dieu que la tromperie soit si advantageuse pour chacun. Dieu mercy, voicy le cœur de Lindamor, que Fleurial vous avoit promis, mais le voicy en estat de vous faire service : ne devez-vous pas estre bien aise de ceste trahison ?

Il seroit trop long à raconter tous les discours que nous eusmes. Tant y a qu’en fin nous fismes la paix, et de telle sorte, que ceste amour fut plus estroictement liée qu’elle n’avoit jamais esté ; toutesfois avec condition qu’à l’heure mesme il partiroit pour aller où Amasis et Clidaman l’avoient envoyé. Ce depart fut mal-aysé, toutesfois il falut obeyr, et ainsi, après avoir baisé la main à Galathée, sans nulle faveur plus grande, il partit. Bien s’en alla-t’il avec asseurance qu’à son retour il