Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/550

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d’elle le chemin qu’il auroit pris. Et de fortune il la trouva au mesme lieu où elle avoit dit adieu à Celion, estant toute seule sur le bord de la fontaine, pensant à l’heure mesme au dernier accident qui luy estoit advenu en ceste place, le souvenir duquel luy arrachoit des larmes du profond du cœur.

Ergaste qui I’avoit veue de loing, estoit venu expres pour la surprendre le plus couvertement qu’il luy avoit esté possible, et voyant ses pleurs comme deux sources couler dans la fontaine, il en eut tant de pitié, qu’il jura de ne reposer de bon sommeil qu’il n’eust remedié à son desplaisir. Et pour ne perdre point d’avantage de temps, s’avançant tout à coup vers elle, il la salua. Elle qui se vid surprise avec les larmes aux yeux , afin de les dissimuler, faignit de se laver, et mettant promptement les mains dans l’eau, se les porta toutes mouillées au visage, de sorte que si Ergaste n’eust auparavant veu ses larmes, malaisément eust-il alors recogneu qu’elle pleurast. Ce qui encore luy fit d’avantage admirer sa vertu, car en mesme temps elle peignit en son visage une façon toute riante. Et se tournant vers le berger, luy dit, avec une façon pleine de courtoisie : Je pensois estre seule, gentil berger,mais à ce que je voy, vous y estes venu pour la mesme occasion, comme je pense, qui m’y a amenée, je veux dire pour vous y rafraischir, et sans mentir voicy bien la meilleure source, et la plus fraische qui soit en la plaine. – Sage et belle bergere, respondit Ergaste en sousriant, vous avez raison de dire que le sujet qui vous a fait venir icy, m’y a de mesme conduit, car il est tout vray. Mais quand vous dites que vous et moy y sommes pour nous rafraischir, il faut que je vous contredie, puisque ny l’un ny l’autre de nous n’y est pour ce dessein. – Quant à moy, dit la bergere, j’advoueray bien que je me puis estre trompée pour ce qui est de vous, mais pour mon particulier,