Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/190

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repliqua Florice, que les uns se sont noyez, les autres se sont bannis, les autres se sont tuez pour trop de passion, vous serez bien de dure creance si vous n’avouez que veritablement les hommes en ce pays sçaven aymer. – Ces resolutions desquelles vous parlez, dit-elle, son [109/110] veritablement grandes, mais le dépit les peut bien aussi-tost produire que l’amour. Et qui sçait, si ceux qui s’y sont laissé emporter n’ont point esté pressez de cette autre passion? Car, croyez-moy, mes filles, les hommes sont d’un si mauvais naturel qu’il faut prendre à rebours tout ce qu’ils font: ce sont de ces bestes qui nef ont jamais bien, que quand elles pensent faire mal. Ces bergeres, disputant de cette sorte, arriverent où estoit Silvandre, qu’elles trouverent tellement enfoncé en ses fascheuses pensées que, quelque bruit qu’elles eussent fait en marchant, il ne les avoit point ouyes. Il estoit estendu de son long, la teste appuyée sur la main, et ses yeux contre terre laissoient couler le long du visage deux sources de larmes qui luy mouilloient toute la main.

Dorinde, apres l’avoir quelque temps consideré en cest etat: Ce berger, dit-elle d’une voix assez basse, n’a-t’il point encore trompé pas une de celles qui se sont fiées en luy? – Pourquoy le demandez-vous? respondit Palinice. – Parce, reprit Dorinde, que, s’il n’en a point deceu, il pleure pour le desplaisir qu’il en a, et s’il l’a fait, il pleure pour n’en avoir pas assez abusé. – Ce berger, dit Circene, n’est point en cette reputation au contraire, il est tenu pour fort homme de bien. – C’est bien par le