Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/191

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moyen de cette reputation, respondit Dorinde, qu’ils nous trompent. Mais, cheres amies, sçavez-vous quel remede il y a? N’avez-vous jamais pris garde que le mirouer represente tout à gauche ce qui est du costé droit? Usez de la mesme prudence avec eux, et prenez tout à rebours ce qu’ils vous diront, ou ce que vous leur verrez faire. Et quant aux larmes de ce berger, asseurez-vous, mes compagnes, que ce sont des larmes de crocodil: il veut, le feint et ruzé qu’il est, en tromper quelqu’une, que jusques icy il aura trouvée de difficile creance. – Mais, adjousta Palinice, quelle apparence y-a-t’il de croire qu’il puisse pleurer, si l’ennuy ne le luy fait faire, ou que, le pouvant, il se veuille travailler de la sorte pour n’en retirer aucun advantage? – Desabusez-vous en cela, repliqua Dorinde. La nature pour nostre malheur leur a donné cette puissance de pouvoir rire et pleurer comme il leur plaist, pourveu que ce soit pour abuser une femme qui se fie en eux. Et ils sont d’un naturel si depravé, qu’ils font comme les chasseurs: ils prennent un extreme plaisir à se donner beaucoup de peine, pour en faire souffrir un peu à quelque peu fine fille, qui s’enfuyra d’eux. [110/111]

L’affection avec laquelle Dorinde avoit parlé luy fit relever la voix sans y penser de sorte que Silvandre l’ouyt, et tournant les yeux vers elles, eut honte qu’elles l’eussent surpris en cet estat, parce que sa discretion estoit telle, qu’il eust plustost esleu de mourir, que de leur donner une asseurée cognoissance