Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/204

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de ce berger, qu’il luy fut impossible de la voir longuement sans se donner entierement à elle, mais cela avec un dessein tant innocent et sans malice, qu’il n’y avoit personne qui ne le recognust bien. Silvanire, de son costé, se voyant servie avec tant de sousmission, ne sçachant encore que c’estoit qu’amour, recevoit avec une sincerité d’enfant la bonne volonté de ce berger sans que son pere ny sa mere fissent jamais semblant de le desapprouver. Au contraire, lors qu’Aglante eust atteint l’aage de douze à treize ans, et Silvanire de neuf ou dix, s’ils estoient aux champs avec leurs troupeaux, c’estoit ordinairement de compagnie, s’ils jouoient, c’estoit ensemble, et mal-aisément les voyoit-on l’un sans l’autre. Et lors qu’ils retournoient au logis, Menandre et Lerice faisoient tant de caresses au petit Aglante, car il accompagnoit tousjours Silvanire chez elle, qu’il demeuroit plus souvent en leur maison qu’en celle de son pere.

C’estoit une chose qui ravissoit tous ceux qui observoient leurs actions, que de voir les extremes soings qu’en cette enfance ce berger avoit de servir cette bergere, et de considerer la modestie avec laquelle elle les recevoit. Si quelquefois quelque brebis de son troupeau s’esgaroit, il n’avoit aucun repos qu’il ne l’eust trouvée et ramenée à Silvanire si d’autrefois elle s’arrestoit dans le lict plus que de coustume, il estoit soigneux d’apprendre des nouvelles de sa santé, de conduire ses brebis avec les siennes [118/119] au pasturage, et de les conserver aussi curieusement que s’il en eust eu la charge, et