Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en moy une affection plus grande que celle qu’elle sçait bien que je luy porte. – C’est donc, reprit le bon vieillard, que son pere le luy a commandé de cette sorte, et qu’estant sage et vertueuse, elle ne veut point desobeyr. Mais, soit cette raison, ou quelqu’autre qui nous soit cachée, tant y a, que je vous conseille de faire semblant d’aymer quelqu’autre car par là vous cognoistrez quel est son dessein, et si elle feint, croyez-moy qu’elle sera bien fine, si elle n’en donne cognoissance. Et pour dire la verité, quelquesfois [123/124] les filles s’ennuyent d’estre trop aymées, comme vous voyez qu’il n’y a personne qui n’ayme la lumiere, mais quelquesfois trop de clairté esblouit, et nous sommes bien souvent contraints de nous mettre la main sur les sourcils pour nous faire ombre aux yeux. – je croy, dit Aglante, que cette pourroit estre bonne à qui la pourroit pratiquer, mais j’avoue qu’à moy elle seroit du tout impossible, je mourrois de honte qu’on me creust avec si peu de jugement, ny que Silvanire peust jamais en quelque sorte douter de ma fidelité.

Le vieillard alors en sousriant O jeune homme! s’escria-t’il, que tu es novice au mestier que tu veux faire! La honte ou la gloire de celuy qui entreprend quelque chose, c’est d’y parvenir ou de n’y parvenir pas et n’est-il pas vray que, pourveu que l’amant se fasse aymer, c’est tout ce qu’il desire. – Quant à moy, respondit Aglante, mon dessein c’est d’aymer…. – Et, interrompit le vieillard, d’estre aymé. – D’estre aymé reprit Aglante,