Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/214

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c’est par-dessus toutes mes esperances. – Or escoute, berger, adjousta le pasteur, si tu ne peux faire semblant d’en aymer une autre, souffre pour le moins qu’on le die. Car il faut que tu sçaches que ces jeunes filles, quoy qu’elles monstrent le contraire ne sont pas tousjours portées d’affection, quand elles font bon visage à ceux qui les recherchent mais c’est la plus souvent par vanité, afin que l’on die que leur beauté leur acquiert quantité de serviteurs, et d’autresfois par envie qu’elles ont contre leurs compagnes. Mais quoy que c’en soit, il est tousjours tres-utile à celuy qui ayme, de les mettre en ces doutes. Et si tu ne te sens pas assez hardy pour entreprendre ce dessein, laisse m’en la peine, et tu verras que par force je te feray du bien. Il suffit, pour ta descharge, que quand il sera temps tu luy puisses faire cognoistre la vraye et sincere affection que tu luy portes, et que tu n’as contribué en cette ruse autre chose que la souffrance.

Ce prudent et sage vieillard fit incontinant courre le bruit tel qu’il voulut de ce changement, que chacun creut sans beaucoup de difficulté, pour la froideur dont Silvanire usoit envers Aglante. Mais quoy que pour sa maistresse on nommast Siline, belle et honneste bergere, fille de ce vieux pasteur, et qu’on assurast que le mariage se feroit bien tost, Silvaniere ne le put jamais croire. Il est vray qu’elle ne laissa pas d’en ressentir quelque peine, mais non pas que jamais cela fust cause qu’elle changeast de façon envers Aglante, d’autant