Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/87

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jugement doive avoir pour toy d’autres sentimens qu’il n’a pas eu pour elles? Ah! desabuse-toy, Diane, en cecy, et confesse, que si tu ne juges, [47/48] en ce qui te touche, ce que tu as jugé contre les autres, sans doute tu es à cette heure differente de celle qu’autresfois tu soulois estre! Et reviens un peu en toy-mesme, et me responds, s’il n’est pas vray que, du temps que tu estois cette premiere Diane, tout ce que ce trompeur berger eust pu faire, ne feust esté qu’indifferent? Et pourquoy donc, si tu es encore celle-là mesme, te fasche-t’il qu’il ayme Madonte, qu’il l’aille suivant, et qu’il s’en soit allé avec elle sans ton congé? Si tu advoues que cela te fasche, confesse de mesme que tu n’es plus cette Diane, qui autresfois ne s’en fust point souciée; que si tu le nies, n’est-il pas vray que ta conscience mesme te condamne? Mais, reprenoit-elle incontinant, si je ne suis plus Diane, que suis-je donc devenue? Le contraire, respondit-elle, de cette Diane, que je soulois estre. O dieux! quel deplorable changement, et combien m’eust-il esté plus utilé et plus honorable de clorre mes jours en ce premier estre, que non pas en celuy auquel je me vois maintenant reduite!

Lors qu’elle estoit plus avant en cette consideration, et que quelquefois, selon qu’elle la touchoit plus vivement, elle relevoit sans y penser la voix, de sorte qu’on pouvoit ouyr des paroles, quoy que confuses, de son violent déplaisir, elle en fut divertie par la survenue de quelques bergers et bergeres qui alloient disputant