Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/88

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entr’eux, avec une grande vehemence; car encore qu’elle fut grandement occupée en ses fascheuses pensées, si est-ce qu’ils faisoient un tel bruit, qu’elle les ouyt d’assez loing pour avoir le loysir de se retirer sans estre veue d’eux, derriere un assez gros buisson, qui estoit tout joignant le chemin, ce qu’elle fit, avec dessein de les laisser passer outre, et apres, s’en revenir en ce mesme lieu continuer l’entretien qu’ils luy avoient interrompu. Mais elle fut bien deceue, d’autant que, comme s’ils l’eussent fait expres, pour la distraire de ses fascheuses pensées, ils s’assirent sur le mesme endroit du rivage d’où Diane ne faisoit que partir, ce qui luy donna volonté de s’en aller tout à fait, jugeant bien qu’ils n’estoient pas venus en ce lieu, que ce ne fust avec resolution d’y demeurer quelque temps.

Mais, d’autant qu’elle craignoit d’estre veue en s’en allant, et peut-estre contrainte de demeurer avec eux, selon les loix de l’hospitalité, qui s’obseryoient religieusement sur les rives de Lignon, elle pensa qu’il valoit mieux les laisser remettre en discours, afin qu’estants attentifs à leur dispute, elle pust se derober sans estre apperceue. Passant donc les yeux à travers le buisson, elle vid [48/49] qu’ils s’estoient assis en rond, et que ceux desquels les visages estoient tournez de son costé estoient des bergers et des bergeres qui ne luy estoient pas entierement incognus, quoy qu’ils fussent de quelques hameaux assez esloignez du sien, comme les ayant veus assez souvent aux jeux et sacrifices generaux où ils avoient accoustumé de s’assembler.