Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/1008

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que vous ne me demandez pas. Mon âge, vostre merite et ce que je dois au grand Dieu m’y convient. Prenez donc en bonne part ce que je vous vay dire. J’ay recogneu que vous estes saisi d’une si grande tristesse, que vous desseignez contre vostre vie ; ne le faictes pas, car le grand Dieu punit tres-rigoureusement apres leur mort les homicides d’eux-mesmes, outre que c’est un deffaut de courage de se tuer, pour ne pouvoir supporter les coups du desastre, et tout semblable à celuy qui s’enfuiroit le jour d’une bataille, de peur des ennemis. Car ceux qui se donnent la mort pour quelque desplaisir qu’ils prevoyent, ou qu’ils souffrent, s’enfuyent veritablement de ce monde à faute de courage, et pour n’oser soustenir les coups de la fortune. Ce n’est pas à dire pour cela que leshommes, comme esclaves, soient obligez d’endurer toutes les indignitez que ceste fortune leur fait, ou leur prepare. Car le grand Dieu les ayme trop pour les avoir sousmis à ceste misere. Mais il leur a donné le jugement et la prudence pour faire ceste eslection avec une bonne et saine raison. Et parce que l’homme prevenu de la passion, ne sçauroit ny bien juger, ny bien eslire, il l’a rendu accompagnable, et luy a donné un naturel qui ayme la société, afin que s’eslisant un ou plusieurs amis, il leur demande conseil