Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/133

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Le souvenir des ingratitudes receues des personnes qui nous sont obligez, nous donne des desplaisirs tant insupportables, qu’il m’est impossible de respondre au long à ce berger qui m’a tant offensé. Je vous diray donc, madame, en peu de mots, que si pour luy avoir cede Celidée, il m’est oblige de la vie, je luy quitte ceste obligation, et veux bien, qu’il ne m’en ait point, pourveu qu’il me quitte ma bergere. Et pour monstrer qu’il est hors de tout danger, il ne peut nier qu’il n’y ait plus d’une lune qu’il a eu le refus de Celidée. Elle luy a dit : Je ne vous aimeray jamais, elle luy a faict sçavoir que sa mere luy avoir promis de ne la marier jamais contre sa volonté, et en mesme temps luy a juré que le ciel et la terre se rassembleroient plustost qu’elle s’unist d’affection avec luy. Toutesfois vous le voyez, il ne vit pas seulement, mais tasche d’oster la vie à celuy qui la luy a conservée. Que si je suis asseuré, et luy aussi, que Celidée ne sera jamais sienne, n’est-il pas le plus ingrat et mecognoissant homme du monde, de me vouloir empescher que je ne l’obtienne ? Il n’y a plus d’esperance pour luy, et pourquoy ne veut-il point qu’il y en ait pour moy ? S’il desire qu’un autre possede ce bien plustost que moy, peut-on voir une ingratitude semblable à la sienne ? et puis-je avoir tort de clorre les yeux à toutes les considerations qui pourroient estre à son advantage,