Aller au contenu

Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quelques pas en arriere, et se couvrant d’un gros arbre pour n’estre apperceu de luy, si de fortune il s’esveilloit, il le considera quelque temps fort attentivement, et dit en fin d’une voix assez basse : Tres-cher amy, et tres-fidelle compagnon Silvandre, que ta rencontre m’apporte de plaisir et d’ennuy ! car nostre amitié ne veut pas que la tristesse où je vis m’empesche de me resjouir en te voyant. Et toutesfois ceste veue me remet en la memoire l’heureuse vie que j’ay passée depuis que j’eus ta cognoissance, jusques à la cruelle sentence que ma bergere prononça contre moy. Sentence dont je ne me puis souvenir, que plein de regret je n’appelle la mort à mon secours, esprouvant bien veritable ce que l’on dit, qu’il n’y a rien de si miserable que celuy qui perd le bon-heur possedé. Mais qui pourroit sans larmes avoir la memoire de ma felicité passée, et la veue de ma misere presente ? A ce mot il se teut, et croisant les bras, se retira encores deux ou trois pas, par ce qu’il le vid remuer, et en même temps se tourner d’un costé sur l’autre, disant assez haut : Ah ! belle bergere, combien cruellement traittez-vous ce pauvre berger ? L’estranger cogneut bien qu’il dormoit, mais ne sçachant de quel berger il vouloit parler, il s’approche de luy, et luy regardant le visage, le vid tout couvert de pleurs, qui trouvoient passage soubs