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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/161

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les paupieres, quoy qu’elles fussent closes. Il jugea lors que c’estoit de luy mesme de qui il entendoit parler, ce qu’il trouva fort estrange, se ressouvenant que son humeur avoit tousjours esté si contraire à l’amour, qu’outre le surnom d’incogneu, on le nommoit bien souvent le berger sans affection. Mais considerant la force qu’une beauté peut avoir, il creut en fin qu’il n’avoit non plus esté exempt des blesseures d’amour que les autres bergers de son aage. Et se confirma d’avantage en ceste opinion, se resouvenant de ce qu’on luy avoit dit de la gageure de luy et de Phillis. Ceste consideration luy fit dire en la regardant : Ah ! Silvandre, que tu es à ceste heure peu capable de conseiller autruy, puis que tu es aussi necessiteux, à ce que je vois, de bon conseil, que nul autre. Pour l’amitié que je te porte, je supplie amour qu’il te soit plus pitoyable qu’il ne m’a point esté, et qu’il donne à ta fortune un tour plus heureux qu’à la mienne.

A ce mot, se reculant doucement, il se retira au lieu de sa demeure. Mais il ne se fut plustost assis sur le bord de son lict, que revenant à penser à la rencontre qu’il avoit faicte, il se representa l’amitié que Silvandre luy avoit tousjours portée, la grande familiarité qui avoit esté entr’eux, et comme la fortune le luy avoit amené le premier en ce lieu. Est-ce point, disoit-il, pour donner commencement à une