Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/163

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heureux papier, dit-il, si ton bon-heur te porte entre les mains de celle de qui depend tout mon contentement, touche luy si vivement le cœur, que si la compassion n’y peut trouver place, le souvenir du passé, et le tesmoignage de la miserable vie que je fay, la contraignent de croire qu’encores qu’elle soit entierement changée envers moy, toutesfois mon affection ne le sera jamais envers elle. Et toy, Silvandre, dit-il, se tournant vers son amy, et la luy mettant dans la main, si ton amour te permet d’avoir encor des yeux pour voir la beauté de celle à qui ce papier s’adresse, donne-le luy, berger, je te supplie, et fay ce bon office à ton amy, comme le dernier qu’il espere jamais recevoir, ny de toy ny d’autre. Il disoit cela, sur l’opinion qu’il avoit de ne pouvoir longuement continuer sa vie en ceste sorte. Ainsi se partit ce berger, tant affligé qu’il s’en alla les bras pliez l’un dans l’autre, et les yeux contre terre, jusques en sa demeure, et tres à propos pour n’estre apperceu de Silvandre, qui s’esveilla en mesme temps. Et parce que le soleil estoit desja fort haut, il regardoit de quel costé il prendroit son chemin pour s’en retourner, lors que frottant ses yeux, pour en chasser entierement le sommeil, il y porta la main, où le berger luy avoit mis la lettre. Son estonnement fut grand, lors qu’il la vid, mais beaucoup plus, quand il leut à qui elle s’adressoit.