Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/238

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moy, que vous ne m’escoutiez. Et, à la verité, je serois de mauvaise compagnie, si en me plaisant moy-mesme, je n’estois bien aise de vous contenter ; car ne croyez pas que ce ne me soit presque autant de plaisir de repenser à mes premieres amours, que si j’estois encores amoureux, et que les mesmes choses fussent presentes, parce que la plus part des plaisirs d’amour sont plus en l’imagination qu’en la chose mesme. Et quand on raconte ce qui s’est passé, l’ame jette sa veue sur les images qui luy en sont restées en la fantaisie, et les voit alors comme si elles estoient presentes. Et par ainsi, pour le contentement de toute cette compagnie, il ne faut que trouver un lieu commode où l’ombre nous deffende des rays du soleil. – II seroit impossible, respondit Silvandre, qu’en tout le bois on peut rencontrer une place plus commode que celle de la source de ce petit ruisseau que vous voyez ; car la fraischeur de l’ombre et le doux murmure de l’eau qui coule parmy le gravier, convie chacun à s’y arrester, et ce qui est de meilleur, c’est que nous ne nous destournons point de nostre chemin.

A ce mot, se mettant devant au grand pas, toute la troupe le suivit, bien ayse d’éviter l’incommodité du chaud. D’abord cha­cun mit les mains dans la fontaine, et n’y eut celuy qui n’en prist dans la bouche pour se rafraischir, et puis choisissant les places les plus commodes, ils