Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/355

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Si desja bien avant dans le cœur nous portons,
De ces yeux vrays ou faux, la blessure certaine.

Ah ! ma sœur, dit alors Astrée, n’en doutons plus, c’est bien Celadon qui a escrit ces vers, c’est bien luy sans doute, car il y a plus de trois ans qu’il les fit sur un pourtraict que mon pere avoit fait faire de moy, pour le donner à mon oncle Focion.

A ce mot, les larmes luy revindrent aux yeux ; mais Phillis qui craignoit que ces autres bergers et bergeres ne s’en aperceussent : Ma sœur, luy dit-elle, voicy un subjet de resjouyssance, et non pas de tristesse. Car si Celadon a escrit cecy, comme je le crois, il est certain qu’il n’est point mort, quand vous avez pensé qu’il se soit noyé. Que si cela est, quel plus grand subjet de joye pourrions-nous recevoir ? – Ah ! ma sœur, luy dist-elle, tournant la teste de l’autre costé, et la poussant un peu de la main, ah ! ma sœur, je vous supplie ne me tenez point ce langage, Celadon est veritablement mort par mon imprudence et je suis trop malheureuse pour ne l’avoir pas perdu. Et je voy bien maintenant que les dieux ne sont pas encor contens des larmes que j’ay versées pour luy, puis qu’ils m’ont conduitte icy pour m’en donner un nouveau subjet. Mais puis qu’ils le veulent, je verseray tant de pleurs, que si je ne puis en laver entierement mon offence, je m’efforceray pour le