de regaigner de jour leurs hameaux. En cette resolution doncques ils se remettent en chemin ; et Silvandre, sans quitter Astrée, estant tousjours le premier ; et ayant marché quelque peu, luy montra le bois où il avoit trouvé la lettre qui estoit cause de ce voyage. Voilà, dit Astrée, un lieu bien retiré pour y recevoir des lettres. – Vous le jugerez bien mieux tel, luy dit-il, quand vous y serez ; car c’est bien le lieu le plus sauvage, et le moins frequenté, qui soit le long des rives de Lignon. – De sorte, dit Astrée, qu’aucun ne l’a sceu escrire que vous, ou l’amour. – Pour ce qui est de moy, dit-il, je sçay bien ce qui en est. Et quant à l’Amour, je m’en tais, car j’ay ouy dire que quelquefois nous voulant jetter ses flames dans le cœur il se brusle luy-mesme sans y penser. Et qui sçait si cela ne luy est point avenu par la beauté de ma maistresse ? Que si quelque chose l’a garanty, c’est sans doute le bandeau qu’il a devant les yeux. – Ah Silvandre, dit la bergere, ce bandeau ne l’empesche guere de bien voir ce qui luy plaist ; et ses coups sont si justes, et faillent si peu souvent le but où il les addresse, qu’il n’y a pas apparence qu’un aveugle les ait tirez. – Discrete bergere, respondit Silvandre, j’ay veu un aveugle en la maison de vostre pere, qui sçavoit aussi bien tous les chemins et destours de vostre hameau, et se conduisoit aussi bien
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