Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/379

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par tout le logis que j’eusse sçeu faire, ayant acquis cela par une longue accoustumance. Et pourquoy ne dirions-nous que Amour, qui est le premier et le plus vieil de tous les dieux, n’ait par une longue coustume, apris d’attaindre les hommes au cœur ? Et pour monstrer que c’est plus par coustume que par justesse, prenez garde qu’il ne nous vise qu’aux yeux, et qu’il ne nous attaint qu’au cœur. Que s’il n’estoit point aveugle, quelle apparence y a-t’il qu’il blessast d’un reciproque amour des personnes tant inegales, ou qu’aux uns il donnast de l’amour pour des personnes qui les surpassent de tant, et aux autres, pour d’autres qui leur sont tant inferieures ? J’en parle comme interessé, car, à moy qui ne sçay seulement qui je suis, il a fait aimer Diane, de qui le merite surpasse tous ceux des bergers, et à Paris, qui est fils du prince de nos druides, il faut aimer une bergere. – Par vos merites, respondit Astrée, vous esgalez les perfections de Diane, et Diane par ses vertus surpasse la grandeur de Paris, et par ainsi l’inegalité n’est point telle qu’il faille par là accuser Amour d’aveuglement.

Silvandre demeura muet à cette replique, non pas qu’il n’eust aisément respondu, mais parce qu’il fut marry d’avoir pas ses paroles donné cognoissance de sa veritable affection, et s’en repentoit, craignant d’offencer Diane si autre qu’elle le sçavoit. Mais il s’estoit de fortune bien adressé,