Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/391

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retira, de sorte que je ne le voyois plus que comme estranger, dont je ne recevois peu de contentement.

Et quoy que le respect que chacun portoit à Leontidas pour l’extraordinaire faveur que Torrismonde luy faisoit, fust cause que plusieurs n’avoyent pas la hardiesse de se declarer entierement, si est-ce qu’il se rencontra un parent assez proche de Leontidas qui, fermant les yeux à toutes considerations, entreprit de me servir, quoy qu’il luy en peust advenir. Dés le commencement, ce n’estoit pas avec dessein de s’y embarquer à bon escient, mais seulement pour n’estre pas oyseux, et pour faire paroistre qu’il avoit assez de merite, et de courage pour se faire aymer, et pour aymer ce que l’on estimoit de plus relevé dans la Cour, pouvant dire sans vanité que de ma condition il n’y avoit rien qui le fust plus que moy.

Et voyez comme ceux qui blasment l’amour ont peu de raison de le faire. Lors que ce jeune chevalier commença de me servir, il estoit homme sans respect, outrageux, violent et le plus incompatible de tous ceux de son aage ; au reste, vif, ardant, et si courageux, que le nom de temeraire luy estoit mieux deu que celuy de vaillant. Mais depuis que l’amour l’eust vivement touché, il changea toutes ces imperfections en vertu, et s’estudia de sorte de se rendre aymable, qu’il fut depuis le miroir des chevaliers de Torrismonde.