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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/409

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qu’elle luy portoit, qu’en fin voyant qu’il ne faisoit pas semblant de la recognoistre, elle ne se peut empescher de luy escrire une lettre si pleine de passion, que Damon ne pouvant plus dissimuler, luy en osta si bien toute esperance qu’elle ne perdit pas seulement l’amour qu’elle luy portoit, mais en sa place y fit naistre une si grande hayne qu’elle jura sa perte. Que si elle eust peu preuver, en l’accusant à Leontinas, ce qu’elle sçavoit de nostre affection, il n’y a point de doute qu’elle l’eust faict, mais nostre bonheur fut tel que, quelque familiarité qui eust esté entre nous, je ne luy en avois jamais parlé que fort peu.

Il est vray que je l’ay depuis recogneue assez fine et malicieuse pour croire que s’il ne luy eust falu que quelque preuve, elle ne s’y fust pas arrestée, parce qu’elle n’eust jamais manqué d’invention, mais un des principaux sujets qui l’en empescha, ce fut ce que j’ay jugé depuis, qu’elle eut crainte que Damon n’eust gardé les lettres qu’elle luy avoit esbrites, et que par ce moyen Leontidas l’eust recogneue pour une tres-mauvaise femme. Et toutesfois ceste consideration ne pouvoit encor estre assez forte pour l’empescher, parce qu’elle eust peu dire qu’elle avoit fait semblant d’aimer Damon, pour le convier de ne se fier plus en elle ; et sans doute Leontidas et sa femme l’eussent creue, ayant conceu une si bonne opinion d’elle, qu’ils ne pensoyent pas