Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/411

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quelle condition il est : sçachez donc que son pere ayant suivi le mien en tous ses voyages de guerre, ils furent en fin tuez tous deux le jour que Thierry mourut. Et parce que cestuy-cy avoit esté nourry petit enfant dans la maison de mon pere, il avoit conceu une si grande affection de moy, que la difference de nos conditions ne le peut pas empescher de me regarder d’autre sorte qu’il ne devoit. Et j’en pouvois bien estre cause, sans y penser, car la grande inegalité qui estoit entre nous me faisoit recevoir tous ses services, non pas comme d’un amant, mais comme d’un domestique, le lieu d’où il estoit ne luy pouvant donner par raison une plus grande pretention pour mon regard. Mais Amour, qui faisoit naistre ses pensées en son ame, d’autant qu’il est aveugle, peut sans reproche en produire de plus déraisonnables, et par ainsi luy faisoit concevoir des esperances qui estoyent du tout esloignées de la raison.

Toutesfois Leriane qui, plus fine que moy, avoit jetté les yeux sur luy, et avoit,fort bien recogneu son intention, le jugea un sujet tres propre pour commencer sa vengeance. Elle sçavoit bien que de toutes les amertumes d’amour, il n’y en avoit point de si difficile que la jalousie, ny qui fust receue plus aisément en une ame qui ayme bien. Elle commence donc de se rendre familiere avec luy, luy fait paroistre beaucoup de bonne volonté, luy