Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/415

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des doigts du gand, et prend si bien son temps qu’en la meilleure compagnie où elle me voit, elle me presente ses estreines.

De fortune Damon y estoit, et parce qu’elle eut crainte que la rencontrant du doigt, je n’en donnasse cognoissance à chacun, elle me dit qu’une cousture s’estoit decousue, et qu’elle la racommoderoit, et à ce mot, me ganta celuy où la lettre estoit, laissant l’autre entre les mains de ceux qui le vouloient sentir. Mais quoy qu’elle m’en eust avertie, lors que je rencontray le papier, je ne peus m’empescher de demander que c’estoit, à quoy elle respondit que c’estoit la couture qui avoit lasché quand elle les avoit essayez. Quant à moy, qui n’entendois point cette finesse, je repliquay que ce n’estoit point cela. Elle avec une asseurance incroyable : Vous ne faites que resver, ma maistresse, me dit-elle, car c’estoit ainsi qu’elle me nommoit, c’est moy-mesme qui l’ay descousu sans y penser.

Je jugeay bien que c’estoit chose qu’il faloit dissimuler en si bonne compagnie, mais j’estois trop jeune pour le sçavoir faire de sorte que Damon qui avoit les yeux sur nous ne s’en apperceust. Et à la verité, j’estois si peu accoustumée à telles rencontres que j’estois excusable si je les sçavois si peu cacher. Damon qui avoit de l’amour, et qui sçavoit par expérience combien ceste passion rend les personnes ingenieuses, jugea bien incontinent qu’il y avoit une lettre, mais il ne peut deviner de qui c’estoit ;