Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/419

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bien que je n’avois pas mauvaise opinion de moy, elle se figura que l’amitié que Damon me portoit, estoit cause que je l’aymois. Elle fit donc dessein de me mettre en doute de luy, ne jugeant point qu’il y eust un meilleur moyen que la jalousie, d’autant qu’un cœur genereux ressent, plus le mespris que toute autre offence. Et quoy que la jalousie puisse proceder de diverses causes, toutesfois la principale est, quand l’amant voit que la personne aymée en ayme un autre, prenant ceste nouvelle affection pour un tesmoignage de mespris, d’autant qu’il juge que, comme celle qu’il ayme merite toute son amour, de mesme il doit aussi recevoir toute la sienne, si pour le moins elle l’estime autant qu’elle est estimée de luy et ne le faisant pas, l’attribue au mespris.

Mais quand elle voulut executer ce dessein, elle n’y trouva pas une petite difficulté, d’autant que ce chevalier ne regardoit femme du monde que moy, outre qu’il estoit necessaire que Leriane eust toute puissance sur celle de qui elle me rendoit jalouse, afin de la conduire à sa volonté, et de plus qu’elle fut secrette, et belle, et de telle condition qu’il y eust apparence qu’elle meritast d’estre aymée. Il estoit bien difficile de trouver toutes ces qualitez ensemble en un mesme sujet. Mais elle qui avoit un esprit qui ne trouvoit jamais rien d’impossible, apres avoir