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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/434

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route que je prenois, l’endroit où je devois passer, il me gagna les devants, et feignit que son cheval luy estant tumbé dessus, luy avoit blessé une jambe, et pour en donner plus de creance, il souilla tout un costé de la teste, de l’espaule et de la cuisse de son cheval, ayant auparavant donné quelque commission à son escuyer, pour l’esloigner de luy. Et racontoit à tous ceux qui passoient en ce lieu l’inconvenient qui luy estoit arrivé ; et leur montroit la route que la chasse avoit prise, leur disant que le roy estoit presque seul.

Mais lors que je passay, il me traversa le chemin, et prenant mon cheval par la bride, l’arresta, quoy que je ne le voulusse pas, dont certes je fus un peu surprise, craignant que l’amour ne le portast à quelque indiscretion. Mais ayant peur que si je luy montrois un visage estonné, il ne prist plus de hardiesse, je fis de necessité vertu, et luy dis d’une voix assez forte : Et qui est cecy, Damon ? Depuis quand avez-vous pris tant d’outrecuidance que de m’oser interrompre mon chemin ? – La necessité, me respondit-il, qui n’a point de loy, me contraint de commettre ceste faute. Que si vous jugez, apres m’avoir ouy, qu’elle merite chastiment, je vous promets qu’au partir de vostre presence je le feray tel que vous en serez satisfaicte. Et lors levant les yeux en haut : O dieux ! dit-il, qui voyez les cachettes des ames plus dissimulées,