Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/485

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Je vous vay faire un recit estrange. J’avois tousjours infiniment aymé Damon, et sa memoire depuis sa mort m’estoit demeurée si vive en l’ame, que je l’avois ordinairement devant les yeux ; mais depuis cest accident, et que j’eus veu ce chevalier estranger, je ne sçay comment je commençay de changer toute ceste premiere affection en luy. Et quoy que je ne l’eusse point veu au visage, il faut que j’advoue que je l’aymay, de sorte que je pouvois dire que j’estois amoureuse d’un visage armé, et sans le connoistre. Je ne sçay si l’obligation que je luy avois estoit cause, ou si sa valeur et sa courtoisie, ou sa bonne façon m’y contraignirent ; tant y a que veritablement je n’ay peu aymer depuis ce jour que ce chevalier inconnu. Et pour preuve de ce je dis, apres avoir attandu quelque temps, et voyant que je n’avois point de ses nouvelles, je me resolus de prendre le chemin de Gergovie et du Mont-d’or ; et apres avoir un peu consideré ce dessein, je le declaray à Tersandre qui m’offrit toute son assistance.

Et je m’adressay plustost à luy qu’a tout autre, parce que depuis le jour qu’il avoit combattu, il s’estoit entierement donné à moy, et que plusieurs fois je luy avois ouy dire, qu’il desiroit infinement de connoistre ce vaillant chevalier qui nous avoit si bien secours. Feignant donc de vouloir visiter