Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/585

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Ah ! riviere, continua-t’il peu apres, qui es tesmoin que je suis le plus malheureux, comme autresfois tu m’as veu le plus heureux berger du monde, est-il possible que tu n’ayes point de regret de n’avoir voulu mettre une pitoyable fin à mes infortunes, lors que dans tes eaux tu me sauvas si cruellement la vie ? Falloit-il que les choses mesmes insensibles conjurees ensemble contre moy, me refusassent le secours que naturellement elles donnent à tout autre ? Mais, peut-estre, tu n’as voulu consentir à ma fin, esperant d’avoir par mon moyen une troisiesme source, prevoyant bien que mes yeux n’ayant que trop d’occasion de pleurer, t’en fourniroient d’une plus abondante que celle que tu as. Si ce dessein t’a fait user envers moy de ceste cruelle pitié, tu n’en seras point deceue, puis que mes pleurs ne cesseront jamais tant que je vivray.

A ce mot les souspirs donnerent un tel empeschement à la voix, qu’il fust contraint d’interrompre ses paroles pour quelque temps, et lors qu’il voulut commencer, Leonide sans y penser se remua ; et parce qu’elle estoit fort prés de luy, il tourna la teste de son costé, et fut fort surpris de la voir avec Adamas en ce lieu. Il se releva promptement, et vint saluer le druide qui s’avançoit desja vers luy. La pasleur et la maigreur de Celadon estaient telles qu’Adamas n’en fut pas peu estonné ;