Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/663

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Que si ceste jalousie procedoit de l’affection qu’il me portoit, n’estoit-il pas pour le moins obligé de faire autant pour moy qu’il me contraignoit de faire pour luy ? Mais au contraire durant tout ce temps de ma vie que je puis bien apeller sauvage (car veritablement telle estois-je devenue pour luy estre agreable) de tout le jour je ne le voyois qu’un moment, mais je dis un moment si bref qu’en verité, je ne faisois que le veoir, ne me donnant ny la commodité ny le loisir de luy pouvoir dire presque une parole, sans que le cruel considerast que puis que p’our luy je me privois de tout autre, s’il ne pouvoit estre tout le temps à moy, il le devoit estre pour le moins la plus grande partie.

Et jugez si je n’ay pas occasion de dire que son affection s’estoit changée en tyrannie, puis qu’encor’il pensoit que je luy en deusse de retour, imitant en cela les avares qui au commencement retranchent leur depence, sous ombre d’estre bons mesnagers, et en fin viennent à une telle espargne qu’ils s’ostentà eux et à ceux qui les servent, les moiens de pouvoir vivre. Car je croy bien que sa vie n’estoit pas plus agreable que la mienne, sinon entant que la sienne estoit volontaire. Et voyez si je l’aimois, et si j’estois bonne. Il usa de ceste tyrannie sur moy, sans que j’en murmurasse jamais, aussi longuement qu’il luy pleut ; et si