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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/667

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vous veux faire paroistre que j e vous ayme par les effets de mon amitié, mais par ceux aussi de vostre hayne. Vous me bannissez sans raison de vous, et je veux que le tort que vous avez en cela vous rende tesmoignage de mon affection, vous faisant voir combien vous avez de pouvoir sur moy, puisque sans murmurer je vous obeys en un commandement tant injuste. Je me retireray donc de vostre veue pour vous contenter. Il est vray que perdant ce bon-heur, je ne perdray jamais l’affection que je vous porte, encore que je la doive espreuver infructueuse tout le reste de. ma vie. Aussi ne vous ay-je jamais aymée que pour vous aymer. – Pantesmon, luy dis-je, l’entiere puissance que vous me donnez sur vous, me liarité qu’il avoit avec le frere fit naistre de la bonne volonté pour la sœur, tant y a qu’il est vray que je recognus bien qu’il m’aymoit. Et voyez si je ne vivois pas franchement et comme je devois avec Palemon : aussi tost que j’en eus cognoissance, je luy dis, et luy alllois par apres racontant toutes ses actions, et toutes les demonstrations d’amitié que je remarquay en luy. Si j’eusse eu quelque dessein, jugez si j’en eusse jugé de ceste sorte ! O Dieux ! quel respect, quel honneur et quelle soumission me rendoit ce berger ! Ses merites et son affection estoient bien dignes d’estre aimez et mesmes accompagnez de la volonté que mon frere en avoit qui, comme j’ay cogneu depuis, faisoit dessein de nous marier ensemble. Mais que je ne puisse de ma vie avoir bien, si jamais j’eus seulement opinion que je luy peusse vouloir du bien plus particulierement qu’aux autres amis de mon frere ! au contraire, je recevois sa recherche avec plus de froideur que de plusieurs autres. Car sçachant qu’il avoit de l’amour pour moy, il me sembloit que de le souffrir sans peine, c’estoit faire tort à l’affection de Palemon, au lieu que les autres n’y estant poussez que de la civilité, ne pouvoient me faire ceste offence. Ce fut à celuy-cy que Palemon voulut que je deffendisse de me voir.

Considerez comme je le pouvois faire ! Aussi si Pantesmon n’eust eu plus de volonté de m’obeyr que ce berger de raison en ce qu’il demandoit, je ne sçay comme, à ce coup, j’eusse peu luy satisfaire, car en quelle sorte luy pouvois-je interdire la maison de mon frere qui l’amoit peut-estre autant et plus qu’il ne m’aimoit pas ? Toutesfois quand je le retiray à part, et que je luy fis sçavoir ma volonté : Non seulement, me dit-il, je vous veux faire paroistre que je vous ayme par les effets de mon amitié, mais par ceux aussi de vostre hayne. Vous me bannissez sans raison de vous, et je veux que le tort que vous avez en cela vous rende tesmoignage de mon affection, vous faisant voir combien vous avez de pouvoir sur moy, puis que sans murmurer je vous obeys en un commandement tant injuste. Je me retireray donc de vostre veue pour vous contenter. Il est vray que, pendant ce bonheur, je ne perdray jamais l’affection que je vous porte, encore que je la doive espreuver infructueuse tout le reste de ma vie. Aussi ne vous ay-je jamais aymée que pour vous aymer. – Pantesmon que vous me donnez sur vous, me fait avoir plus de regret de vous esloigner de moy que je n’eusse pas estimé. Et suis bien marrie que vous m’ayez trouvée en estat que je ne puisse disposer de ma volonté ; car vos merites et l’affection que vous me faites paroistre me font avoir du desplaisir de ne pouvoir d’avantage pour vous. Mais croyez-moy pour veritable, et soyez asseuré que ce n’est point sans raison ny sans regret que je vous fay ceste priere. Si vous pouviez avoir quelque esperance en moy, vous auriez plus de subject de vous fascher ; mais puis que cela n’est pas, quel plaisir auriez-vous, si vous m’aimez, de me rendre miserable, sans qu’il vous en revienne