qu’il me faisoit en me conjurant par luy. Incontinent apres il partit, et depuis il ne s’est jamais trouvé en lieu où il m’ait peu voir. Or toutes ces preuves de mon amitié n’estoient-elles capables d’obliger à jamais envers moy cet ingrat et mescognoissant berger ? Et toutesfois il advint au contraire ; car tant s’en falut qu’il m’en sceut gré, que depuis je ne le vis plus, je ne diray pas comme amant, mais non pas mesme comme amy. Je voulus sçavoir l’occasion de sa retraitte, et une de mes plus fidelles amies qui l’alla trouver de ma part ne me raporta autre responce de luy que ce mot :
Amour chasse l’Amour comme un clou chasse l’autre.
Je jugay alors deux choses : la premiere, qu’estant devenu amoureux de quelque autre bergere, il avoit par ceste seconde amour chassé la premiere qu’il me portoit ; et l’autre qu’avec mespris il me conseillot d’en faire de mesme. Si cela me fut fascheux à supporter, je n’ay point affaire de le redire, et m’en tairay quand ce ne seroit que pour ne fortifier point d’avantage ce glorieux berger en la bonne opinion que sa vanité luy donne ; mais fasse le Ciel que nos plus grands ennemis en ressentent les moindres traits !