Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/676

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bien aimer que ses yeux se sçavent faire adorer, ne diroit-elle pas plustost que c’estoit un extreme amour et la trop bonne opinion que j’avois d’elle qui me le faisoient faire ? Car si je ne l’eusse creue digne d’estre servie de tous, comment eussé-je creu que tous l’eussent servie ? Mais si je n’eusse eu cette creance, comment eussé-je esté jaloux de chacun ? Ceste jalousie donc, ô belle Doris, n’est point un moindre signe d’affection et d’une tres violente amour, et les souspirs et les larmes dont les amans vont noiant les mains de leurs bien-aymées, puis qu’elle naist de la cognoissance de la perfection de la personne que l’on ayme, et les souspirs et les larmes procedent le plus souvent de la cruauté seulement qu’ils trouvent en elle, ou du tourment qu’ils en ressentent.

Cognoissant donc, grande nymphe, que j’estois jaloux, ne devoit-elle pas augmenter la bonne volonté qu’elle me portoit, pour balancer en quelque sorte la pesanteur que j’allois adjoustant à la mienne ? Au contraire, qu’est-ce que sa cruauté, ou pour le moins sa mescognoissance, luy conseilla de faire ? Vous l’oyez de sa propre bouche ? Elle se deslie de ceste estroitte amitié que tant de services, que tant de cognoissances d’une vraye affection, devoient avoir rendue indissoluble, et pour s’en donner quelque pretexte, se figure des refroidissements de mon costé, et