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Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/701

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violente passion, fait commettre plusieurs choses qui ne seroient pas appreuvées de celuy qui les fait, s’il n’estoit atteint de ceste maladie. Mais pour esviter les desplaisirs qu’elle a ressentis par le passé, nous voulons qu’ainsi que Doris traitera Palemon comme la personne du monde qu’elle aymera le plus, de mesme Palemon tienne Doris pour celle qui aura de plus de pouvoir sur sa volonté, d’autant que la puissance qui penche tout d’un costé, encor qu’elle soit permise volontairement, tombe en fin en tyrannie. Et quant à l’infortuné et patient Adraste, nous ordonnons qu’il eslise d’estre à jamais exemple d’une fidelle et infructueuse affection, en continuant celle qu’il porte à Doris sans estre aymé, ou rompant ses premiers liens par l’effort du despit ou du desespoir, il satisfasse à l’amitié de celle dont il est aymé.

Tel fut le jugement de la nymphe, qui en mesme temps fit trois effects bien differents en ces trois personnes : en Palemon, d’extreme contentement ; en Doris, d’un estonnement si grand qu’elle demeura sans parler ; mais en Adraste, d’un si prompt saisissement d’esprit, qu’il se laissa choir en terre comme mort. De sorte que, cependant que Palemon avec mille paroles confuses et mal arrangées, essayoit de remercier son juge d’une si favorable ordonnance. Doris, sans dire mot, tenoit les yeux en terre, comme ne sçachant si elle devoit en estre ayse