Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/739

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d’avoir passé ce mal resjouyt, et celle de n’avoir plus ce bien, attriste ; mais encore ay-je une surcharge à mes ennuis, qui n’est pas petite, qui est de ne sçavoir l’occasion de mon mal. C’est, je vous jure, Leonide, une des plus cruelles poinctes qui me tra­verse le cœur en ceste affliction. J’ay fait une exacte recherche de ma vie, mais je n’en ay peu condamner une seule action. De penser qu’une humeur volage ou quelque autre dessein luy ayt donné volonté de changer d’amitié, c’est la trop offencer, et demen­tir trop de tesmoignages que j’ay du contraire ; de croire aussi qu’elle me traitte ainsi sans quelque raison, c’est avoir peu de cognoissance d’elle, de qui les moindres actions n’en sont jamais despourveues : qu’est-ce donc que nous accuserons de nostre mal ? O dieux ! je pense que la langue ne pouvant bien expliquer le mal, duquel les sentimens ne peuvent assez bien comprendre la grandeur, vous ne voulez pas que l’entendement le cognoisse !

Et lors continuant ses tristes pensées : Voyez-vous, dit-elle, grande nymphe, une petite isle que Lignon faict au droict de ce hameau, qui est de là la riviere, un peu plus en là que Mont-verdun et un peu par dessus Julieu. Nous y estions passez par dessus des grosses pierres que nous avions jettées en. l’eau de pas en pas, parce qu’en ce temps-là nous cherchions les lieux les plus sçachez pour esviter la veue de nos parens, et mesme de mon pere qui ne trouvant remede