Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/740

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à cette affection qu’il voyoit croistre devant ses yeux, resolut de me faire sortir de la Gaule, et me faire passer les Alpes, et visiter la grande cité, pensant que l’esloignement pourroit obtenir sur moy ce que ses deffences et contrarietez n’avoient jamais peu. Et parce que nous en estions bien advertis, nous allions cherchant, comme j’ay dict, les endroicts les plus reculez, pour au moins employer le peu de temps qui nous restoit à nous, entretenir sans contraincte. Quelquefois à cause de la commodité du lieu, nous venions dans ce rocher que vous voyez beaucoup plus prés de nous, qui est creux, et laissions Lycidas ou Phillis en sentinelle pour nous advertir quand quel­qu’un passoit, parce qu’estant pres du grand chemin, nous avions peur d’estre ouys.

Or cette fois, comme je vous dy, suivant nos brebis qui s’estoient comme de coustume ramassées ensemble, nous passames sur des gros cailloux en cette petite isle de Lignon. Et quoy que nous eussions desja diverses fois pris congé l’un de l’autre, afin de n’estre point surpris, car mon pere me tenoit caché le jour de mon despart, si ne laissames-nous de renouveller encor nos adieux. D’abord que nous vismes que nous ne pouvions estre aperceus de personne, elle s’assit en terre, et s’appuya contre un arbre, et moy me jettant à genoux je luy pris la main, et