Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/897

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que ces vaisseaux furent bien tost apres jusqu’où ma veue se pouvoit estendre, et lors chacun les voyoit à plain. II n’y avoit plus ny voiles, ny antennes, ny mats: l’orage avoit contraint les mariniers de les abattre et coucher dans le fonds, et ne se servoient plus que du timon, qui encor ne pouvoit guere resister aux grands coups de la tempeste. II y avoit de la pitié à les regarder, car le vent estoit si grand qu’ils ne pouvoient s’empescher de se hurter l’un l’autre. Le cry que le vent portoit jusques à nous, estoit pitoiable de ceux qui estoient dedans, et qui à genoux sur le tillac et sur la pouppe, eslevoient les mains au Ciel. La pluspart voiant le rivage s’estoient desabillez, esperant de le gaigner à nage, si le vaisseau s’en approchoit un peu plus. La fortune voulut qu’en fin apres s’estre à moitié entre ouverts l’un l’autre de force de se hurter, un tourbillon survint qui les poussa contre nostre rocher. Du grand coup que le premier donna, il recula en arriere de telle furie, que rencontrant l’autre qui le suivoit, il rompit une partie de sa pouppe et l’esperon de la proue de l’autre; et lors que la mer estoit preste de les engloutir, il survint un autre flot qui les poussa d’une si grande force contre le mesme rocher que les vaisseaux s’ouvrirent entierement. Dieu ! quelle pitié fut celle-là ! quelques uns se prenoient aux pointes de la roche, et essayoient d’y asseurer leurs pieds, attendant